Clandestin...

Publié le par Dumb

Il marche, dans cette rue sombre et froide, son béret de travers fixé sur sa tête, il longe les murs discrètement. Il traverse la rue, sans un regard pour le conducteur qui manque de le renverser. Il reste caché entre sa veste, ses cheveux longs reposant sur ses épaules et son précieux béret brun…

Sous le bras, il tient une cassette. Dans cette cassette se trouve, placée avec une attention particulière et méticuleuse, de très nombreuses feuilles de papier. Dans un dossier, des feuilles blanches, pures, belles… Ces dernières ne sont pas souillées par des écrits, dessins, ratures, qui dénaturent tant la beauté pâle, placide et chaleureusement froide d’un papier blanc…

Dans un autre dossier, d’autres feuilles de papier sont remplies de notes, de ratures, de griffes, de caricatures, d’arguments, de jugements acerbes et de critiques lapidaires… Ce dossier, c’est, en quelque sorte, le cimetière du papier… Ou plutôt la salle de torture qui fait souffrir l’or qu’il tient entre ces mains : le papier. Dans une petite trousse en cuir marron gisent les instruments nécessaires à cette torture : une plume, un encrier, plusieurs rouleaux  pour la machine à écrire, des bandes blanches de corrections, une petite paire de ciseaux usée et quelques attaches…

L’homme continue son périple à travers la ville. L’ambiance est lourde, pesante, un épais brouillard repose sur les bâtiments, sur les lumières qui brillent d’une froide lueur, sur les habitants tristes, silencieux, aux regards mornes, aussi gris que les rues de leur propre ville…

Arrivé devant une petite porte, l’homme regarde longuement derrière lui, par-dessus son épaule, à gauche, à droite… Discrètement, il ouvre la porte et pénètre à l’intérieur d’un endroit connu. C’est le bar qu’il a l’habitude de fréquenter. Il salut des vieilles connaissances, une jolie serveuse blonde aux lèvres pulpeuses, un ouvrier désabusé buvant son café et toussant à pleins poumons, le patron du bar qui le regarde d’un air inquiet depuis des années… Tous ces gens, toutes ces connaissances, sont comme des rayons de soleil dans cette ville plongée dans la nuit du désespoir, comme un arc-en-ciel éclairant un peu ce quartier envahit par les brumes de la tristesse…

L’homme file ensuite dans une petite pièce derrière la salle, juste à droite du comptoir. Il commande, comme tous les matins, un café noir et demande son cendrier. Il roule alors une cigarette, longeant impatiemment les murs de cette petite salle de quelques mètres carrés, et commence à fumer…

Cette petite salle est exiguë et mal éclairée… une reproduction de la ville en miniature en quelques sorte… Ses murs sont sales et déconfits, le sol est collant et mal nettoyé. Au milieu de cette pièce se trouve un petit bureau et une chaise en bois. Sur ce bureau, la seule source de lumière rayonnant dans la pièce posée à coté d’une machine à écrire. Sous ce petit bureau, une corbeille à papier. L’homme la regarde, chaque matin, d’un air désabusé… Il sait qu’elle sera remplie dans quelques heures… dans quelques minutes peut-être…

Le café arrive… Il s’installe alors devant la machine à écrire, terminant sa cigarette. L’écrasant, il fixe la machine qui semble le snober sur un ton de défi… Il l’observe alors avec attention par-dessus sa tasse à café.

Il sort alors ses papiers blancs et les rouleaux… Il fouille ensuite dans ses brouillons, les parcoure rapidement et se met à retranscrire avec frénésie les lettres qui lui passent par la tête. Soudain, le patron du bar met un terme à cette rédaction. Il frappe en effet discrètement à la porte et y passe la tête. Après un bref regard en arrière, il chuchote à l’auteur : « je peux te parler de quelque chose ? ». L’homme acquiesce d’un signe de tête. Le patron rentre donc et referme rapidement, mais toujours avec discrétion, la porte derrière lui.

« Voilà, dit-il, la police est encore venue me voir hier soir. Voilà plusieurs années que je couvre tes activités…mais cette fois, leurs doutes sont sérieux ». L’homme le regarde avec un air sombre et méprisant ; l’autre, semblant apeuré par ce regard, se renferme un peu sur lui-même.

« QUOI ENCORE !!! Hurle l’auteur, tu ne veux plus couvrir mes activités »… L’autre l’interrompt en lui demandant de baisser le ton par soucis de discrétion. L’homme se calme alors… De manière plus posée, il explique « si tu ne me couvres plus, qui pourra rédiger ces articles de résistances à l’oppression ? Depuis que la police a saisi mon local il y’a plusieurs années, j’en suis réduit à écrire dans ta pièce miteuse… Nous devons nous battre, organiser la résistance, et nous insurger. Comment faire tout cela sans communiquer ? Or, les gens qui ont le téléphone sont sous écoute, les télégrammes sont intercepté… comment faire ? Seule la presse peut encore servir… rien d’autre. »

« Je sais, dis l’autre, mais, en te laissant rédiger ici, je prend des risques considérables. D’autres personnes ont disparus dans ces circonstances… ».

 

Le journaliste clandestin s’énerva. Repris ses papiers, ses brouillons, sa plume et, se levant d’un coup, il traversa la pièce en courant. Se retrouvant dehors, il marcha sans but, sans envie… La seule idée qu’il avait était de vider toute la colère qu’il avait emmagasiné. Il marcha, marcha, marcha… Il ne faisait plus attention à la discrétion. Une voiture s’arrêta devant lui, deux hommes fortement battis en  sortirent…

Le lendemain, la silhouette inquiétée du journaliste ne traversa pas la ville… On ne sut jamais ce qu’il advînt de lui…

Publié dans Histoires

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